Les interactions précoces mère-enfant
Stéphanie BEYELERL'intéraction est l'ensemble des processus bidirectionnels où le nourrisson est soumis aux influences des parents mais où il est aussi à l’origine de modifications chez eux. Une interaction est la réaction réciproque de deux phénomènes qui évoluent dans un même système.
ESCALONA (1968) parle d'une « spirale transactionnelle » puique le nourisson et sa mère s'influencent l'un et l'autre dans un processus continu de développement et de changement. Ainsi, tout comportement de l'un ds partenaires provoque une modification chez l'autre, et ainsi de suite. L'interaction s'envisage dans un continuum d'échanges où chacun agit et réagit. L'enchaînement complexe de processus bidirectionnels ne se développent pas en cercle fermé mais plutôt en spirale.
A partir de leurs nombreux travaux sur les interactions précoces, S. LEBOVICI, P. MAZET, J-P. VISIER(1989) ont définit 3 niveaux d’interactions :
Les interactions comportementales
Il s'agit des échanges directement observables entre la mère et son bébé. Les interactions corporelles : elles concernent la façon dont le bébé est tenu, porté, manipulé et touché. D. W. WINNICOTT (1975) parle de « holding »et de « handling ». J. AJURIAGUERRA (1970) parle de « dialogue tonico-émotionnel » permettant des ajustements corporels interactifs entre l’enfant et sa mère. le dialogue tonico-émotionnel serait le reflet des états émotionnels des deux partenaires avec la possibilité d’une transmission de l’un à l’autre, en particulier chez le bébé. Il y a ainsi une véritable interaction entre les postures des partenaires et donc entre le tonus musculaire de chacun d’eux. Détente corporelle globale ou partielle, raidissement localisé ou généralisé peuvent affecter l’un et/ou l’autre partenaire. Les contacts peau à peau constituent une modalité interactive souvent intimement liée au dialogue tonique.
Les interactions visuelles : elles représentent l’un des modes privilégiés de communication entre l’enfant et la mère induisant des affects chez cette dernière. D. W. WINNICOTT a introduit la notion de « miroir » : « la mère regarde le bébé et ce que son visage exprime est en relation directe avec ce qu’elle voit ». Le regard est un organisateur qui fonde la première relation d’objet.
Les interactions vocales : elles traduisent des besoins et des affects chez le bébé permettant d’exprimer ses désirs. Les cris et les pleurs sont le premier langage du nourrisson. Les interactions vocales sont importantes pour l’harmonisation de la relation. Pour BOWLBY, les interactions vocales jouent un rôle important dans l’attachement, comme une sorte de « cordon ombilical acoustique » (Sander et Julia). La parole est utilisée par les mères souvent dès les premiers instants de leur relation avec leur bébé. A cette période néonatale, la motricité des bébés paraît parfois entraînée par la parole de la mère et synchronisée avec elle.
Les interactions affectives
Elles concernent le climat émotionnel ou affectif des interactions, le vécu agréable ou déplaisant de la communication. Il s’agit des influences réciproques de la vie émotionnelle du bébé et de celle de sa mère. D.N. STERN (1989) dénomme « accordage affectif » le fait que l’imitation puisse traduire le passage d’états internes de la mère au bébé et réciproquement, par la contagion d’affect. Les affects constituent l’objet même de la communication dans le « jeu mère-nourrisson », surtout pendant les premières semaines et premiers mois. La tonalité affective globale des échanges entre les partenaires de l’interaction permet de dégager des sentiments de plaisir, de bien-être, de tristesse, d'ennui, d'indifférence, d'insécurité, d'excitation...
D. STERN décrit là l'expérience subjective partagée par la mère et son bébé notamment lorsque celui-ci a atteint environ 8-9 mois. Chaque partenaire reproduit alors la qualité des états affectifs de l'autre sur un ou plusieurs canaux sensori-moteur ; par exemple à un des gestes du bébé correspondront des vocalisations maternelles, dans une transposition inter-modale que D. STERN considère comme essentielle dans le processus qui conduit peu à peu à la mise en place d'une activité symbolique et du langage.
Les interactions fantasmatiques
La notion d’interaction fantasmatique a été étudie par L. KREISLER, B. CRAMER et S. LEBOVICI. Ils prennent en compte l’influence réciproque du déroulement de la vie psychique de la mère et de celle de son bébé, aussi bien dans leurs aspects imaginaires, conscients, que fantasmatiques, inconscients. L’interaction fantasmatique va donner sens à l’interaction comportementale.
Les fantasmes rendent compte des modalités d’investissement des objets par les pulsions ou les désirs. Ils sous-tendent toutes les relations.
Chez les adultes, la proximité d’un bébé, sa présence dans les bras par exemple, semble réactiver la vie imaginaire et fantasmatique ; la mère parle aisément de son enfant imaginaire. Selon S. LEBOVICI, le bébé, à peine conçu, est l’objet d’un « mandat familial qui peut confirmer les vertus ou réparer les drames ». Les confrontations entre ce bébé des rêveries et celui de la réalité sont l’occasion d’un deuil.
On peut hésiter à parler de vie fantasmatique chez le très jeune enfant et pourtant il dispose très tôt d’un système de représentations mentales. Grâce à l’excitation des zones érogènes le bébé peut « halluciner » la satisfaction et imaginer le plaisir qui vient de l’objet qu’il se représente. Selon S. LEBOVICI, les soins maternels et leurs vicissitudes sont pourvoyeurs de fantasmes chez le bébé.